Du Theatre a la Mission Therapeutique de L'Eglise: Un Regard sur L'Eglise Anglicane du Congo

by Kahwa Njojo

Date added: 28/11/2016

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DU THEATRE A LA MISSION THERAPEUTIQUE DE L’EGLISE : UN REGARD SUR L’EGLISE ANGLICANE DU CONGO

Par Prof. Kahwa Njojo

 

Parler du théâtre dans l’Eglise aujourd’hui est une vérité qui conduit au ridicule. La situation critique qu’expérimente l’Eglise est visible à tout observateur même inattentif. En ces jours, elle se révèle relativement incurable à cause du niveau qu’elle atteint et ses effets sur la vie de ses fidèles. Cet état de crise donne lieu aux pasteurs et chrétiens touristes interdiocésains ou interprovinciaux ou encore interdénominationnels. Souvent, on ne voit que le noir, aucun avenir, chacun se demande que veux-je faire pour conserver mon pouvoir ? Que veux-je faire pour élever les miens ? Que veux-je faire pour accéder à un poste de commandement où coulent le lait et le miel ? Que veux-je faire pour contrecarrer les défis de la retraite ? Beaucoup d’autres questions peuvent être posées, mais malheureusement, au lieu d’aider les membres de l’Eglise à réfléchir et agir positivement en faveur du développement de l’Eglise, elles les plongent dans le théâtre qui engouffre l’Eglise dans des crises et le désespoir.

1. Nature du théâtre

Le théâtre dont il est question dans cet exposé n’est autre que des crises dans lesquelles l’Eglise est engagée et est victime de sorte que le monde est entré dans l’Eglise et contrôle son organisation. Ce théâtre est multidimensionnel et multisectoriel. Multidimensionnel, parce qu’il est retrouvé à tous les échelons de l’Eglise, c’est-à-dire le théâtre est hiérarchisé, à chaque niveau correspond une scène théâtral donnée ; multisectoriel, parce qu’il est retrouvé dans tous les secteurs de la vie de l’Eglise, toute la vie de l’Eglise est traversée par des scènes théâtrales. Il s’avère indispensable de noter que ces théâtres sont souvent orchestrés par les responsables de l’Eglise d’une manière hiérarchique. Les fidèles deviennent quelque fois acteurs ou spectateurs selon qu’ils sont affectés ou attirés par le théâtre.

Il y a constamment un mobile à tout théâtre qui naît du désir de chacun d’obtenir ce que possède l’autre ; il cherche ce que désirent les autres en sorte qu’il entre en scène avec eux. Eric Blondel n’a-t-il pas souligné : « Tout est force, c’est-à-dire que tout cherche à s’affirmer, à se dépasser et à l’emporter sur quelque chose, ne serait-ce que sur soi ».[1]

1.1 Théâtre du leadership

Il est généralement connu que l’Eglise, à travers l’histoire, a souvent été tentée de se servir de l’administration séculière comme modèle. Ce mimétisme l’incite à insérer un système administratif contre les affirmations bibliques. Plusieurs théâtres sont signalés dans l’Eglise à cause d’un mauvais exercice du pouvoir. Lorsque les mouvements politiques luttent pour la démocratie, l’Eglise semble faire un mouvement contraire en prônant de sa bouche la démocratie et conserve le despotisme dans la pratique. Ses structures restent encore lourdement organisées sous forme hiérarchique. Le pouvoir se caractérise par un mouvement de haut vers le bas. C’est l’autorité qui demeure le décideur ultime de la vie de l’Eglise. L’Eglise cesse d’être le corps du Christ, mais une propriété privée du fort.

Un autre aspect du théâtre du leadership est la préoccupation importante accordée à l’occupation d’un poste de commandement au sein de l’Eglise. Aujourd’hui le poste envié et qui crée des disputes est l’évêché. Tout le monde veut devenir évêque en prenant n’importe quel moyen pour y accéder. Et lorsque la chance ne sourit pas, on en profite pour mettre sur pieds un groupe de pression composé des opposants. Des fois, c’est une occasion pour se diviser et créer des Eglises sans avenir afin de suppléer à son ambition.

En outre, on constate le théâtre lié à l’élection d’un évêque. Elle s’organise comme celle du président de la république ou des députés où il y a dépôt des candidatures, un temps pour la propagande et des discours démagogiques pour aliéner les électeurs et acheter les voix à travers la corruption, le système de « ramping »[2] et des promesses aux autorités pour s’accaparer de la confiance et mériter la réussite. La prière faite au début de l’élection n’est qu’une formalité, une mise en train pour commencer la scène théâtrale dont le résultat est déjà une réalité consommée et connue pendant la nuit.

Pour ce qui est de l’exercice du pouvoir, le leadership donne carte blanche au leader de se hisser au-dessus pour entasser les subalternes dans une prison caractérisée par le système oppressif. Le leadership est aussi un moyen pour s’enrichir. J.-L. Remilleux a raison lorsqu’il écrit : « Au Zaïre, pouvoir et argent sont deux réalités sociables : être chef rend riche et être riche donne le droit d’être chef ».[3] C’est pourquoi on assiste à des détournements qui restent impunis. Cette impunité protège les auteurs contre d’éventuelles poursuites. Le leader développe le principe de non opposition en appelant les subalternes à la théologie de « fermer la bouche ». En cas de résistance, on leur applique le principe d’écartement caractérisé par la suspension et la révocation sur base d’opposition et du fait de dire la vérité.

Le leadership est dominé par le système caporaliste où l’obéissance aux ordres prime sur la négociation et le consensus. Il ressort l’oppression des subalternes qui croupissent dans les lamentations sans espoir d’une délivrance. L’hiérarchie installée ne leur permet pas de respirer ni d’atteindre l’autorité, car il faut passer par tous les bureaux pour atteindre le fort. Or, les bureaux par lesquels doit passer le dossier sont composés des membres de la famille du chef. D’où, en cas d’un dossier qui nuirait à la stabilité et à la pérennité de leur pouvoir, il sera bloqué quelque part et n’atteindra jamais le sommet. S’agissant d’un cas qui n’affecte pas négativement le pouvoir, on recourt à la corruption, tout simplement parce que le dossier est présenté par un étranger à la famille et qu’il n’y a aucun profit à tirer.

1.2 Théâtre des fanatiques

Comme le monde contrôle l’Eglise dans son organisation, le fanatisme y a élu domicile de sorte que l’Eglise est composée des fanatiques rangés derrière tel ou tel leader pour le soutenir dans sa position à l’Eglise. Cet esprit fanatique fait de l’Eglise un terrain de football où il y a des joueurs, c’est-à-dire les clergés, acteurs du théâtre, et les fanatiques, c’est-à-dire les membres de l’Eglise rangés chacun derrière une équipe pour marquer leur soutien voire dans le mal. C’est ainsi qu’on entend dire « moi, je suis de tel », « moi, je supporte tel ». Ce qui entraîne la formation des groupes des supporters dans l’Eglise. Cette dernière cesse d’être le corps du Christ, mais un ensemble des groupes séparés, se mettant ensemble sans être ensemble.

Le fanatisme ancré dans l’Eglise est à la base de plusieurs problèmes ou conflits. « Retenons pour le besoin de l’analyse les heurts, les divisions, les haines et les situations qui bloquent les relations entre les membres d’une famille, d’un groupe et entre des amis ».[4] La situation sociale est très catastrophique dans le corps du Christ. Elle fait que même la survie soit une tâche de vie et de mort.[5] Le théâtre en relation sociale consiste à des affrontements ou des menaces d’affrontements qui mettent aux prises entre des groupes sociaux.[6]

1.3 Théâtre du régionalisme

L’Eglise, au lieu d’être le corps du Christ composé de toutes les tribus, devient une mutualité basée sur la théologie de « wa kwetu » (quelqu’un de chez nous). Il s’installe une administration de la famille avec des frères comme acteurs dans la présentation théâtrale. Il faut être membre de la famille ou de la tribu du fort pour être engagé, pour aller aux études ou être élevé à un bon poste. Il faut être couvert d’un parapluie pour mériter, avoir quelqu’un pour vous défendre afin de jouir des prérogatives de la mouvance ecclésiastique. Par conséquent, l’Eglise devient une propriété privée de la famille du leader qui en est la bénéficiaire première. Le népotisme et le favoritisme constituent le véhicule du pouvoir.

Cet esprit régionaliste favorise la pérennité au pouvoir et l’établissement de l’autoritarisme. L’Eglise est confondue à une ONG composée des frères séparés. Cette conception débouche à l’exclusivisme et à la désintégration communautaire, car c’est la géopolitique qui contrôle. Le théâtre de la régionalisation des structures ecclésiastiques, façonné selon le modèle caporaliste, prône le principe de « nous et non les autres ». Imaginez la vie de l’Eglise dominée par le principe « le nôtre ». Pourtant, nous sommes tous appelés, sans tenir compte de nos fractions humaines, à constituer un corps dépourvu de tout ethnicisme.

Le régionalisme fait de l’Eglise une salle de karaté ou un dojo où après s’être battu sérieusement débouchant parfois à des blessures, on se retrouve dehors riant et faisant semblant comme si rien ne s’est passé. Devant d’autres personnes, la physionomie montre qu’il n’y a rien bien qu’il y a fracture ou blessure, mais le cœur reconnait que telle personne est à la base de ma souffrance et je veux me préparer pour lui rendre la pareille. En rapport avec cette situation, bien des gens dans l’Eglise appliquent le principe de fair-play.

1.4 Théâtre de la menuiserie et de la maçonnerie

Il est facile de se demander que vient faire la menuiserie et la maçonnerie dans l’Eglise. Existe-t-il des menuisiers ou des maçons dans l’Eglise ? La réponse est positive. Mais comment cela est-il possible ? Nous parlons des menuisiers dans l’Eglise en se référant de certains instruments que les menuisiers utilisent dans la fabrication des objets. Il y a par exemple l’étau qui est un outil formé de deux mâchoires qui peuvent être serrés et desserrés, et qui permet de maintenir en place les pièces sur lesquelles on travaille. Il y a aussi le serre-joint qui est un outil de menuiserie permettant de maintenir serrés l’un contre l’autre deux éléments que l’on veut coller. Ces deux instruments sont importants pour le menuisier parce qu’ils l’aident à bien serrés les choses sans bouger afin de bien les travailler.

Ces genres d’instruments sont aussi retrouvés dans l’Eglise dans le sens que certains leaders usent abusivement de leur pouvoir pour maintenir les gens serrés sans leur laisser un temps de respirer. L’oppression, fruit de la dictature, est considérée comme l’étau ou le serre-joint du menuisier. Les hommes sont pris dans un étau et ne savent plus d’où viendra le « Jésus » qui leur accordera la délivrance. L’Eglise devient un atelier de menuiserie où sont manipulés les subalternes et les fidèles comme le menuisier sur les planches, caractérisé par des bruits qui vont produire une table ou un lit selon la forme voulue par le menuisier. Malencontreusement, les bruits de l’Eglise ne construisent pas mais détruisent ce qui est déjà construit. Ces bruits sont des querelles, des disputes, des mauvais traitements, des lamentations, et que sais-je encore. Le constructeur par excellence Jésus est destitué par les hommes.

Pour ce qui est de la maçonnerie, les maçons, lors de la construction d’une maison, utilisent le marteau pour tailler des pierres ou les briques afin de bien les aligner, selon leur volonté, sur le mur ; l’équerre et le niveau pour s’assurer de la droiture du mur. Il en est de même dans l’Eglise où le marteau est employé pour écraser les opposants ou les gens à bouche ouverte et l’équerre ou le niveau pour arranger tout le monde selon l’idéologie du fort. Tous ceux qui ne se conforment pas à cette idéologie, il leur est appliqué la politique d’écartement et de censure en limitant leur émergence sur tous les plans.

Beaucoup d’autres théâtres peuvent être relevés, mais nous n’avons fait que ressortir les points saillants qui rendent la vie de l’Eglise insupportable et invivable. Vous pouvez aussi en ajouter d’autres. Cependant, la lecture de la Bible révèle une autre mission différente du théâtre que l’Eglise doit réaliser. La mission de l’Eglise est thérapeutique. En quoi consiste cette thérapie de l’Eglise ?

 

2. Mission thérapeutique de l’Eglise

L’Eglise doit répondre à sa mission thérapeutique qui consiste à la guérison et non à rendre malade à l’instar de son chef Christ dont la tâche était de guérir au lieu d’infecter ou de contaminer. Les théâtres qu’elle organise sont des maladies qu’elle doit chercher à guérir en correspondant chaque maladie à son médicament. Elle doit reconnaitre que cette mission thérapeutique est un processus qui nécessite d’être outillé des moyens non-violents pour parvenir à la guérison efficace.

L’Eglise doit être un endroit où l’on vient chercher la guérison sur tous les plans. C’est ainsi que la thérapie de l’Eglise consiste à quatre choses : un leadership kaïrotique, une théologie de libération, une vie communautaire et l’Eglise-famille. 

2.1 Leadership kaïrotique

            L’adjectif kaïrotique est la francisation du terme grec cairoς  qui signifie temps précis, occasion propice. Un leadership kaïrotique est un effort de gérer une situation telle qu’elle se présente à un moment donné. C’est le moment où doit s’adapter l’autorité à quelque chose et réagir en fonction de cette chose tout en étant illuminé par les vérités bibliques. C’est un leadership qui est flexible ou dynamique, c’est-à-dire dépourvue d’une structure hiérarchique irréprochable et inchangeable, souvent considérée comme moyen par lequel s’obtient le salut. Or l’Eglise ne peut pas être divinisée. Elle doit être soumise à la Bible pour sa réformation positive. C’est que l’on ne doit pas être lié par des structures non bibliques, car elles ne constituent pas des absolus dans l’Eglise du Christ. D’où à part les normes bibliques, tout est négociable sous la direction du Saint-Esprit pour ce qui est de règles et de la pratique dans l’Eglise.[7] Ce qui justifie l’expression latine Ecclesia semper reformanda est. L’autorité aussi bien ses propos doivent donc être évalués à la lumière des Ecritures et être prête à changer devant la volonté de Dieu.

Le leadership kaïrotique est celle démocratique dans laquelle la décision sur la vie de l’Eglise provient de la base et non de l’autorité hiérarchique ; où le peuple de Dieu est considéré comme une communauté ministérielle et non celle rassemblée autour d’un leader. Le leadership kaïrotique contribue à la promotion du sacerdoce universel qui accorde l’importance au gouvernement des chrétiens. C’est celle centrée sur la koinonia, la fraternité collaborative et le partenariat. Dans ce cas les structures et l’exercice de la liberté ne s’excluent pas. Ils peuvent coexister sans faille par la puissance du Saint-Esprit. La responsabilité de l’Eglise est de trouver un juste équilibre entre structure et liberté dans ses décisions et ses actions communautaires.[8]

La démocratisation du leadership à l’Eglise doit décourager la théologie de utii[9] qui exagère la conception de la hiérarchie à travers des noms surhumains tels que Sa Grâce, Monseigneur, Vénérable et Révérend. Il est préférable d’appeler chacun par sa fonction (archevêque, évêque, archidiacre, curé, pasteur). La démocratisation du leadership permet la communion qui implique l’intimité, la transparence, l’unité de cœurs et d’intérêts pour le bien-être de l’Eglise. Il faut une administration basée sur l’ouverture à l’autre et sur la théorie de la kénose ou de l’abnégation. Le système congrégationaliste est à préférer, car ce système prône la démocratie tandis que le système épiscopal hiérarchisé qui ne prône pas la valeur démocratique favorise la violence si le leader n’est pas christocentrique. Le leadership kaïrotique ne doit pas être représenté sous forme de triangle qui accentue la hiérarchie avec le décideur au sommet et l’oppression des subalternes, mais sous forme de cercle, d’une table ronde où le représentant est confondu aux subalternes, dominé par le souci de promouvoir les opinions de tous les membres par voie de consensus. Il n’est qu’un facilitateur qui organise et initie les rencontres, et non un décideur absolu en matière de foi, de conduite et du développement. Dans ce cas, le gouvernement est assuré par la base, l’Eglise d’en bas.

2.2 Une théologie de libération

Le fait que le peuple est soumis à une souffrance horrifique, cela n’est pas un accident. C’est le résultat de l’établissement des structures injustes. Pour l’aider, il convient d’initier des actions pour la libération. En fait, la libération est un concept parfois mal reçu par le peuple opprimé par peur d’être victime d’une autre souffrance pire que la première. Pourtant, la libération se trouve au cœur de l’Evangile. Elle est au centre de la proclamation de l’Evangile. D’ailleurs le message de l’Evangile est libérateur. Toute initiative pour une action libératrice doit partir de ce message en vue d’atteindre un bon impact. Jacques Ellul affirme que « la Bible révèle que toute conduite chrétienne est fondée dans l’affranchissement de l’homme par Dieu, la libération, la désaliénation, etc., et qu’il s’agit de vivre en hommes libres ».[10]

La théologie de libération[11] telle que conçue par les peuples opprimés, est situationnelle. Elle part d’un contexte ou d’une situation donnée et vient se greffer finalement à la Bible. Pourtant, la stratégie convenable serait de considérer la Bible comme point de départ, qui contient des solutions aux problèmes auxquels l’homme fait face. En dépit de ses défauts et de ses critiques académiques et culturelles, elle a exercé un impact énorme dans la réflexion théologique. Il s’avère important de noter que la théologie de libération est une tâche purement pratique débouchant à des actions pouvant contribuer au changement socio-économique et politique.

L’Evangile que l’Eglise possède est celui de la liberté. Il libère l’homme de toute forme d’oppression. Il faut saisir avec John Rawls que le seul principe que les personnes dans la position originelle puissent reconnaître est celui de la liberté de conscience égale pour tous. Elles ne peuvent pas mettre en danger leur liberté en permettant que les doctrines morales et religieuses dominantes répriment les autres à leur guise.[12] A ce propos, pour montrer l’importance de l’unité, Francis Schaeffer écrit : « Si l’Eglise encourage l’exercice de la liberté dans des situations changeantes, il y aura des Eglises jusqu’au retour de Christ ».[13] Sa peur n’a pas de place car le Chef de l’Eglise est là. Il peut bouleverser les choses. Le manque de liberté n’effacera pas l’Eglise.

L’action de l’Eglise dans la théologie de libération doit être publique et non élitiste. Publique, parce qu’elle doit faire face à l’oppression de façon visible. Ses actions doivent être concrètes au vu et au su de tout le monde en dépit des moyens utilisés. Non élitiste, parce qu’elle ne doit pas participer à l’oppression du peuple. Elle ne doit pas user de préférence pour ses intérêts en contribuant aux souffrances des brebis mises à sa charge. C’est ainsi que P.A. Kalilombe interpelle l’Eglise à vivre une « spiritualité de séparation du monde ».[14] Cette séparation exige un combat. Bien entendu, « ce qui est décisif dans la pensée et l’action, ce n’est pas la violence qui accompagne le combat pour la libération, c’est le combat lui-même et sa nécessité ».[15]

La libération, comme l’indique David J. Bosch, citant Gutiérrez, doit se faire à trois niveaux différents, à savoir : la libération des situations sociales d’oppression et de marginalisation, libération de toute forme de servitude personnelle et libération de péché, qui brise l’amitié avec Dieu et les autres êtres humains.[16] Cette libération est donc une ouverture à Dieu et aux semblables caractérisée par une relation d’amour. Cela n’est possible que si Christ règne dans la vie humaine. L’ouverture à l’autre suggère que les divergences passées à la base de tensions sont éliminées et une nouvelle histoire commence. C’est ainsi qu’on peut vivre ensemble, prier pour les ennemis et aimer tout le monde.

Pour L. BOFF, la véracité de la nouvelle évangélisation se mesure à sa capacité de libérer effectivement les opprimés et de donner origine à une Eglise permettant une humanisation plus profonde de ceux qui vivent leur foi.[17] En effet, au nom de l’Evangile, l’Eglise doit, non seulement revendiquer les droits de l’homme, mais aussi combattre toute attitude ou toute idéologie susceptible de bafouer ces droits. Elle doit s’investir pour la promotion de la justice afin de répondre à sa vocation de témoin de Christ.[18] La mission de l’Eglise est une force libératrice. Le devoir de l’Eglise doit s’adapter à l’état de souffrance. Elle doit se solidariser avec ceux qui souffrent, prêter sa voix aux victimes. Dans ce sens, l’Eglise doit desservir le fort, lui résister afin de servir le peuple. Jean-Marc Ela écrit : « Le plus urgent où Dieu convoque son peuple, c’est là où s’organise la lutte pour la pleine humanité des hommes et des femmes défigurés par des structures de domination et d’injustice. On ne peut confesser Dieu sans se préoccuper de voir son image briller sur chaque visage d’homme et de femme ».[19]

2.3 Une vie communautaire

L’Eglise est une communauté des croyants appelés par Dieu et unis pour manifester la gloire de Dieu et ayant une mission de répandre la Bonne Nouvelle du salut en Christ. Ils sont les membres du corps de Christ. En tant que telle, elle doit vivre par l’amour sincère dont Dieu est la source. Basée sur l’amour, l’Eglise devient une communauté composée des frères et sœurs soucieux tous de la promotion de l’identité humaine. Malheureusement, tel que constaté par R. Wurmbrand, « les chrétiens n’ont pas encore fait ce qu’il faut pour que chacun ait la vie en abondance. Ils ont laissé certains manquer de ce qui aide à vivre ».[20]

La fraternité centrée sur l’amour est un atout pour la croissance spirituelle et le développement de l’Eglise sur tous les plans. Cette communauté fraternelle, qu’est l’Eglise, doit manifester l’unité et la concorde en tout, à l’exemple de la première communauté chrétienne retrouvée en Actes des Apôtres (Ac 2,42). Les membres doivent poursuivre l’idéal de créer une société fraternelle, égalitaire et libre, comme signes du royaume déjà présent dans l’histoire.[21]

Personne ne peut prétendre accomplir la justice divine par une fraternité traîtreusement entretenue. La fraternité chrétienne repose sur l’amour, l’hospitalité, la justice, le pardon et la paix. L’irrecevabilité des autres dans la consolidation fraternelle est un mal social antichrétien. Chaque membre de l’Eglise doit être reconnu et aimé de tous en dépit de son standing. Cependant, cela n’exclue pas la prudence.

2.4 Une Eglise-famille

Il a été signalé que le régionalisme est à la base du népotisme, du tribalisme et de l’administration des frères. Cependant, pour guérir cette maladie, il est impérieux que l’Eglise, au lieu d’être une Eglise de la famille, soit une Eglise-famille qui est composée de plusieurs familles charnelles appelées à constituer une famille spirituelle, le corps du Christ avec le Christ comme chef qui contrôle tout. Cette famille des familles expérimente une unité, une communion que seul le Christ rend possible et en assure la sécurité et la pérennité.

Le christocentrisme ecclésial est un vaccin anti-théâtre dans l’Eglise. Lorsque Christ occupe le centre de toutes les activités ecclésiales, il y a espoir de réduire efficacement les différentes sortes de théâtres et former une Eglise-famille où la ségrégation raciale, sexuelle, sociale, géographique et tribale est bannie.

Conclusion

Nous concluons avec Patrick A. Kalilombe, s’inspirant de Gustavo Gutierrez, la spiritualité doit résulter de la conversion au Seigneur, ce qui implique la conversion au prochain, à l’opprimé, à la classe sociale démunie, à la race méprisée, au pays dominé.[22] L’Eglise est invitée à exercer sa mission prophétique en étant la voix de sans-voix, afin que partout la dignité humaine soit reconnue à toute personne et que l’homme soit toujours au centre de tous les programmes.[23] Ceci est une interpellation à abandonner le pharisaïsme, c’est-à-dire elle doit vivre ce qu’elle prêche tout en évitant toute organisation du théâtre en son sein.

 


[1] E. BLONDEL, Nietzsche, le 5ème évangile ?, Paris, Les Bergers et les Mages, 1980, p. 70

[2] Ramping est une expression utilisée par les étudiants à l’Université Anglicane du Congo pour indiquer l’hypocrisie que certaines personnes démontrent pour gagner la confiance de l’autorité. Il vient du verbe « ramper » pour indiquer la flatterie envers l’autorité à travers les paroles, les gestes et le respect qui n’expriment pas la réalité.

[3] J.-L. REMILLEUX, Mobutu, dignité pour l’Afrique, Paris, Albin Michel, 1989, p. 29.

[4] N. Yaovi SOEDE, « Nature et gestion des crises africaines : De la tradition aux pratiques actuelles, in RUCAO, N° 18, 2003, pp. 49-50.

[5] E. WAMBA Dia WAMBA, L’avenir du Congo, s.l., s.d., p. 24.

[6] P. BRAUD, « La violence politique : Repères et problèmes », in Revue Cultures et Conflits, N° 09-10, 2007,    p. 4.

[7] F. SCHAEFFER, « La pratique de la liberté dans la vie communautaire », in Revue Reformée, N° 223, 2003, p. 50.

[8] F. SCHAEFFER, Op. cit., p. 50.

[9] Utii est un mot Swahili qui signifie obéissance. La théologie utii exige une obéissance aveugle et rend le peuple vulnérable à la persécution. Elle développe l’hypocrisie au sein de l’Eglise. Elle accentue l’oppression des faibles et la divinisation de l’autorité comme étant une personne à craindre, irréprochable, intouchable et détenant toute décision pour la vie de l’Eglise.

[10] J. ELLUL, L’idéologie marxiste : Que fait-on de l’Evangile ?, Paris, Centurion, 1979, p. 36.

[11] Par théologie de libération, nous attendons les mouvements de noirs contre les blancs, à savoir les théologies noires, africaines, etc. et le mouvement féministe (théologie féministe). Elles partent toutes de l’oppression expérimentée par un groupe, des éléments de la culture locale. C’est pourquoi elles sont qualifiées de situationnelles. Elles doivent être toutes évaluées à la lumière de la Bible afin de prouver leur authenticité et leur véracité.

[12] J. RAWLS, Théorie de la justice, Paris, Seuil, 1987, p. 242.

[13] F. SCHAEFFER, Op. cit., p. 46.

[14] P. A. KALILOMBE, « Péché, société et libération », in MVENG E., Spiritualité et libération en Afrique, Paris, Harmattan, 1987, p. 47.

[15] J.-M. ELA, Le cri de l’homme africain : Questions aux chrétiens et aux Eglises d’Afrique, Paris, Harmattan, 1980, p. 75.

[16] D. J. BOSCH, Dynamique de la mission chrétienne : Histoire et avenir des modèles missionnaires, Lomé/Paris/Genève, Haho/Karthala/Labor et Fides, 1995, p. 593.

[17] L. BOFF, La nouvelle évangélisation : Perspective des opprimés, Paris, Cerf, 1992, p. 113.

[18] KUBULANA M., Justice et royaume messianique : Essai de relecture exégétique de la prophétie de Michée, Eléments d’une théologie de l’espérance pour l’Eglise en crise, Thèse de doctorat, Bruxelles, Faculté Universitaire de Théologie Protestante, 1998, p. 368.

[19] J.-M. ELA, Repenser la théologie africaine : Le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003, p. 71.

[20] R. WURMBRAND, L’Eglise du silence torturée pour le Christ, 11ème édition, Traduit de l’Anglais par J. THEROL, Paris, Médiaspaul, 1988, p. 191.

[21] L. BOFF, Op. cit., p. 113.

[22] P. A. KALILOMBE, « Péché, société et libération », in E. MVENG, Spiritualité et libération en Afrique, Paris, Harmattan, 1987, p. 39.

[23] JEAN PAUL II, Le développement des peuples, Kinshasa, Médiaspaul, 1997, p. 77.

 
Kahwa Njojo

Kahwa Njojo

 
 
 

Comments

Mr Zachary Guiliano (02/12/2016 at 12:21)
University of Cambridge
Thank you for a stimulating piece. I share your commitment to opposing oppression. Do I understand you correctly, Prof Njojo? Are you saying that the episcopal government in the church is inherently oppressive and overly hierarchical? Is this a problem simply in the Anglican Church of the Congo, or throughout the Communion (and among Roman Catholics and the Eastern Orthodox churches)? --- Pardonner les erreurs françaises. Merci pour votre pièce stimulante. Je partage votre engagement à lutter contre l'oppression. Est-ce que je vous ai bien compris, Prof Njojo? Dites-vous que le gouvernement épiscopal dans l'église est intrinsèquement oppressif et trop hiérarchique? S'agit-il simplement d'un problème dans l'Église anglicane du Congo ou dans toute la Communion (et parmi les catholiques romains et les églises orthodoxes orientales)?
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